
Jean-Louis Fromenty
RAM 1.0
Ce n'est pas tant dans l’admiration que Jean-Louis Fromenty porte à l’œuvre graphique d’Henri Michaux que dans son cruel recueil de textes « La vie dans les plis », qu’il faudrait chercher une parenté aux papiers déployés que la Galerie Lee accroche aujourd’hui. Mais de quoi a bien pu souffrir Fromenty pour en arriver ainsi, comme Michaux, à se percher dangereusement sur la crête qui départage humour et cruauté ? Eh bien, sans doute, comme « l’athlète de la souffrance »â€¯Fromenty a-t-il pâti, lui aussi, d'être « né troué ou d'avoir à mourir ».
Enfant, une jambe affaiblie par la polio se muscle sur un petit vélo jaune. En rentrant de l’école, il se fait traduire les « stupid boy » que lui balancent les petits Américains d’après guerre. Il s’adapte ensuite aux pérégrinations d'un père militaire, pilote d'avion. À Tahiti, un paradis en petite tenue où il apprend le vaste reste : touffeur de l’air chargé de l’odeur du tiare, mixité du lycée, navigation à voile, aubes et aurores tropicales... tandis que son père perfore innocemment les nuages atomiques.
C’est à Paris, à L'École Spéciale d'Architecture, qu'il renonce à devenir poète génial, genre Rimbaud, pour devenir artiste têtu. L’homme se découvre méthodique, obstiné, coupant les cheveux en quatre selon des procédures auxquelles il se conforme avec la plus grande rigueur. Bien sûr, on peut songer aux modes d’emploi de Pérec et aux détours d'espace des Pérec/rinations.
Mais Fromenty, aujourd’hui, ne coupe rien, il plie, ou plutôt il froisse. Il froisse, en se concentrant, du papier en boules. Mais attention, pas n’importe lequel et pas n’importe comment ! Le plieur avisé sélectionne minutieusement son matériau chez Ingres, chez des papetiers de l'Empire du Milieu ou celui du Soleil Levant pour qu’il réagisse à sa trituration au malaxage... de façon qu’il puisse ensuite accomplir le rituel de son défroissage : les plis venant alors s’offrir à l’encre de Chine posée sur le papier avec la fine pointe d'une plume, pinceau ou feutre japonais.
La grosse boule de papier défroissée par Fromenty approche alors la solution de l’une des questions de géographie posées sournoisement jadis aux collégiens par Jean Tardieu dans ses fameux « Petits problèmes du Professeur Frœppel » : « Déployez à plat le relief de la Suisse et calculez la superficie ainsi obtenue. » Le papier déployé puis surligné par Fromenty, c’est comme la Suisse que Tardieu nous révèle en l’aplatissant. Une campagne, une ville, un réseau de chemins qui se dévoile dans sa mise à plat. Un maillage de synapses auquel Fromenty donne le nom de RAM 1.0, se référant à la Random Access Memory des mémoires d’ordinateur. Multiples passages de crêtes ou de vallées. Innombrables facettes plus ou moins pentues renvoyant au spectateur une lumière chatoyante dont l’intensité et la couleur sont modelées par le grain du papier au gré de leurs orientations et de leurs inclinaisons et des caprices de la météorologie, des frémissements de baromètre et de l'heure du jour. Les papiers déployés de Fromenty prennent ainsi leur envol sous l’effet de la lumière.
Jean Delmas
